Pèlerinage à VTT sur les Chemins de Saint-Jacques (suite et fin)

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Dans la première partie du récit du bulletin familial de février 2015, nous en étions restés à Roncevaux, en septembre 2014. Notre idée était de terminer les quelques 800 km restant à parcourir en 16 étapes par le Camino Frances, le plus fréquenté.

Le Camino Frances

Le patrimoine espagnol y est abondant avec des villes et villages rappelant l’histoire de l’Espagne féodale, marquée par la reconquête sur le califat de Cordoue et l’édification, comme chez nous, d’un état espagnol souverain. Le pèlerinage y a tracé son chemin.

On y trouve, comme en France mais peut-être encore plus marquées, les traces grandioses de ce cheminement initié il y a plus de 1 000 ans : cathédrales de Burgos, Léon, Astorga et Santiago, multiples monastères, hospices, ponts, petites églises de campagne ainsi que pavage et murets. Tout cela rappelle que des centaines de milliers de pèlerins nous ont précédés, ont prié, souffert, se sont fait dévaliser et même trucider, pour arriver dans cette cathédrale mythique de Saint-Jacques de Compostelle.

Aïe !

Nous avions pris le parti de suivre le chemin des piétons : les routes espagnoles sont très dangereuses pour les cyclistes. Le chemin est plus pittoresque et l’on y rencontre énormément de gens avec lesquels échanger. Cependant, au début de la fameuse meseta, en Vieille Castille, une chute stupide du haut de mon vélo s’est terminée aux urgences de l’hôpital de Burgos et nous a obligés à interrompre notre périple.

Cet accident fut sans doute la traduction d’une fatigue accumulée, avec des étapes trop longues et des vélos pesant 26 kilos avec nos sacoches. À l’inverse de la France où le moindre chemin est goudronné, nous cheminions sur des sentiers pierreux, souvent accidentés, nécessitant parfois des portages très fatigants. Aussi, avons-nous accepté sans trop de regrets d’interrompre notre chemin, déjà très contents d’avoir pu en parcourir 350 km.

Un très beau trajet

Le pays basque espagnol, des villes comme Pampelune et Logrono, le passage de l’Alto del Pardon, la superbe et épuisante montée au monastère de San Juan de Ortega, l’arrivée à Burgos et le début de la meseta. Et puis, cheminer avec Jean, toujours de bonne humeur, était pour moi un plaisir. Et nous gardons tous deux un excellent souvenir de ces moments. Restait néanmoins à terminer ce pèlerinage.

En mai dernier, j’ai proposé à Jean de le continuer en octobre 2015. C’était pour lui impossible : il avait une obligation incontournable. Aussi, en concertation avec Claude, ma femme, ai-je pris la décision de partir seul. Plus réaliste que moi, elle m’a rendu modeste quand au kilométrage quotidien et aux bagages. Toute honte bue, j’ai utilisé les services de Camino facil qui vient chercher au rifugio la mochila (le sac) dûment étiquetée. On la retrouve au gîte suivant, s’il n’y a pas eu d’erreur…

Sans compagnon avec qui échanger, j’ai été amené à aller un peu plus vers les autres. J’ai pu converser avec des jacquets, seuls ou en groupes, venus souvent de très loin, animés par la foi ou pour d’autres raisons qu’ils avaient parfois du mal à formuler. Je ne résiste pas au plaisir de reprendre un poème du XIIIe siècle cité dans l’excellent livre d’Alix de Saint-André En Saint-Jean-Pied-de-Port dans lequel je me suis spirituellement retrouvé : « La porte est ouverte à tous / aux malades et aux bien-portants, pas seulement aux catholiques, / mais aussi aux païens, aux juifs, aux hérétiques, / aux oisifs et aux vains, / en bref, aux gens de bien comme aux profanes. »

Tous pèlerins !

J’ai rencontré des pèlerins du monde entier :

  • un couple de néo-zélandais athée, ayant fait la moitié du tour de la terre pour la guérison de leur fils atteint d’une tumeur au cerveau ;
  • une Argentine de Montevideo à laquelle j’ai expliqué que, si elle se baignait sans risque sur la plage de la capitale, c’est grâce à la société d’ingénierie hydraulique dans laquelle je travaillais, la Sogreah qui avait conçu le système d’assainissement collectif de Montevideo ;
  • une Américaine de l’Arizona, mariée deux fois, son fils travaillant en Tchèquie : échanges sur les parents vivant très éloignés de leurs enfants et petits-enfants ;
  • ces hospitalières japonaise et d’Afrique du Sud venues pour 15 jours d’apostolat et d’accueil des pèlerins ;
  • cette catalane, pyrénéenne et marathonienne, marchant au rythme de 35 km par jour, tout au plaisir d’être là et catastrophée du résultat des récentes élections de Catalogne sur l’indépendance ;
  • ce couple de Chinois consacrant leurs quinze jours de vacances annuelles au pèlerinage : se montrant surpris de me voir sur le chemin avec mes 83 ans, ils m’ont demandé ma carte d’identité pour y vérifier mon âge, et l’ont photographiée ainsi que moi-même !

Bien d’autres encore : bretons, vendéens, savoyards, dauphinois, Bulgares, Anglais, Irlandais, Canadiens… Et puis, les pèlerins de la dernière heure, se mettant en marche à Saria, à quelques 120 km de Santiago. Cette ville est l’ultime point de départ permettant d’obtenir le fameux certificat attestant qu’on a fait le chemin et qu’on peut se réclamer du titre de pèlerin : 100 km à pied suffisent, ou 200 à vélo !

D’aucuns s’offusquent de ce dévoiement. Mais ces pèlerins, je les ai trouvés tout de même sympas, trottinant avec, pour beaucoup d’entre eux, l’obligation de se trimballer des bedaines, des fesses et des « lolos » d’un poids apparemment beaucoup plus importants que leurs sacs de 2 ou 3 kilos. J’ai même cheminé avec un couple faisant les 100 km avec leur bébé de 18 mois dans sa poussette.

Et bien sûr, il y a les tricheurs qui ne trichent d’ailleurs qu’avec eux-mêmes : ils font tamponner leur credencial à Saria, marchent un peu et parfois prennent des taxis en maraude le long du chemin… C’est à la fois minable et assez drôle, cela fait partie de notre humanité. Il y a toujours eu des tricheurs, même au Moyen-âge. À l’époque on payait maigrement un pauvre hère pour faire le pèlerinage à sa place, ceci pour gagner des indulgences ! Le tour était joué et on allait au Paradis, tout au moins le croyait-on.

Enfin ! L’arrivée !

L’arrivée à Saint-Jacques est extraordinaire. On la pressent 50 km avant. La foule des pèlerins grandit. La gaieté et la joie deviennent de plus en plus grandes, on sent que l’on arrive enfin. On s’arrête, on se congratule, on se photographie. Certains chantent.

À Monte de Gozo, on découvre l’agglomération de Santiago. C’est là qu’eurent lieu les journées JMJ de 1989 avec Jean-Paul II. On y découvre un immense monument commémoratif très laid mais grandiose, avoisinant une modeste chapelle datant de l’an 1000 parait-il. Et puis cette arrivée que j’avais pu programmer à midi, heure de la messe des pèlerins à la cathédrale !

Quel choc, quelle émotion de se trouver dans cette immense nef bondée, lors d’une messe très recueillie, dite et chantée en plusieurs langues, conclue par l’Ite missa est et le fameux botafumeiro, manipulé par six énormes officiants en robe de bure qui le font monter jusqu’à la voûte. Oui, partez en pèlerinage à Compostelle, cela vous marquera pour la vie.

Jacques Bagnérés
avec la complicité de son épouse Claude née Guillebon
(Troussencourt)

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